Le jour où nous avons capturé notre premier essaim sauvage était un jour de chance! Il nous est arrivé par un heureux concours de circonstances. C’était le samedi 24 mars. Mon mari, déterminé à acquérir des asperges et des fraises malgré le confinement, s’est rendu au petit marché sur la place du village tôt le matin. Il y a croisé un apiculteur du coin et lui a acheté un pot de miel. Cherchant un moyen d’acquérir des abeilles depuis des mois, il a essayé de le convaincre de lui céder un essaim, en vain… Mais son interlocuteur a bien voulu prendre ses coordonnées « au cas où ».
Le jour où nous avons cueilli notre premier essaim, nous n’étions pas prêts! Deux sur les trois ruches étaient presque finies, et ma mère nous avait fait cadeau d’un peu de son ancien équipement. Nous avions le strict nécessaire: sa vareuse, un voile, un enfumoir, un balai de crin, deux lève-cadres et aussi une petite ruchette à essaim. Nous étions persuadés d’avoir encore du temps devant nous pour nous préparer, nous former et nous équiper. Les recherches pour trouver des abeilles avaient été laborieuses, et les seuls apiculteurs susceptibles de nous en fournir avaient annoncés des dates à partir de la mi-mai.
Mais ce jour là donc, tout s’est passé très vite. Nous terminions de déjeuner, quand le téléphone sonna. Au bout du fil, l’apiculteur de ce matin. Il nous informe qu’une dame qui lui a aussi acheté du miel, vient de l’appeler pour un essaim qui serait en train de se former dans une zone résidentielle, à quelques centaines de mètres de notre domicile. Il ne peut pas s’y rendre, et nous le propose! Mais il faut faire vite, d’autres apiculteurs pourraient aussi être sur le coup.
Première réaction: nous avons du mal à y croire! Les enfants sautent de joie, on dirait Noël. Deuxième réaction: panique à bord! Cela fait des mois que nous rêvons de nos futures abeilles, mais jamais nous nous étions imaginés qu’il nous faudrait aller le cueillir tout seuls, sans aucune expérience! Mon mari n’a même encore jamais mis le nez dans une ruche.
Mon premier réflexe: appeler ma mère. Quand j’étais gamine, je l’accompagnais parfois pour capturer des essaim, j’ai en mémoire les étapes de cette opération. Mais là, c’est pas pareil! Au fond de moi j’ai peur. Peur des piqûres, peur que nous ne sachions pas faire… Elle nous réexplique la procédure, le matériel à prendre.
Mon mari, surexcité, se rue sur le téléphone pour appeler les propriétaires du lieu où se trouve l’essaim, note l’adresse, jette le matériel dans le coffre, ne m’entend plus dire qu’il nous faut un escabeau et un sécateur, il est déjà en route. J’ai juste le temps d’attraper mes gants de jardinage et d’enfiler des bottes et un pull. Quand nous arrivons sur place je me sens curieusement sereine, je n’ai plus le choix. Mon courage vacille un peu quand je découvre l’essaim imbriqué dans une épaisse haie de thuya, à deux mètres du sol. L’endroit n’est pas facile d’accès, mais tant pis! Nous allons avoir des abeilles, rendez-vous compte!
Nous sommes entourés de résidents curieux, heureux d’avoir un peu de distraction en plein confinement, filmant, portables à la main. Personne ne se doute que nous sommes de parfaits novices. Il nous faut emprunter une échelle et une cisaille. J’ai chaud, je maudis mes bottes et mon gros pull.
Juchée sur la pointe des pieds, tenant la boîte le plus haut au dessus de ma tête, j’essaie de guider au mieux mon mari en équilibre précaire sur l’échelle. Après avoir cisaillé un peu les thuyas, il parvient à donner un coup sec sur la branche d’où pend la grappe d’abeilles. Elles tombent par centaines au fond de la ruchette. Il y a soudain beaucoup d’agitation tout autour de nous. Il s’agit maintenant de vite refermer le couvercle. Si la reine se trouve bien à l’intérieur, toute la grappe va se reformer en se pendant au plafond. Des rabatteuses vont rapidement se positionner à l’entrée de la boîte pour appeler le reste des abeilles en émettant des phéromones de rassemblement: abdomens relevés en arrière et tournés vers l’extérieur, elles ventilent vigoureusement. Et c’est effectivement ce que nous pouvons observer. C’est réussi!
Nous pouvons désormais les observer mieux. Ce sont des abeilles noires, comme nous l’espérions! Il leurs faudra encore quelques heures pour que la quasi totalité de l’essaim se retrouve dans la ruchette et que nous puissions les transporter jusqu’à la maison. Juste assez de temps pour finir les préparations: il nous faut trouver un peu de cire pour les barrettes et fabriquer un nourrisseur. J’appele les enfants qui s’empressent de nous rejoindre à pied. C’est avec émotion que je les vois s’approcher de l’essaim sans aucune crainte. Accroupis à côté de la ruchette, ils parlent aux abeilles, leur promettant une belle vie chez nous.
Le soir venu, au bout d’une course un peu folle, nous avons pu fermer et transporter la ruchette pour transvaser l’essaim dans la ruche définitive. C’était un grand moment, qui s’est malheureusement soldé par une piqure pour notre fils, seul bémol de la journée… Heureusement j’ai pu enlever le dard de suite et qu’il réagit bien au venin: le lendemain il avait déjà oublié la douleur. Après deux nuits de confinement à la cave, la ruche a pu être installée à son emplacement définitif.
Dans l’agitation du moment, je n’ai pas pris le temps de faire des photos… Mais voici la colonie en pleine exploration de leur nouvel environnement, quelques jours après son installation. Si vous observez attentivement, vous pouvez apercevoir des butineuses qui ramènent déjà du pollen, en prévision du premier couvain. Signe que nos abeilles sont bien installées dans leur nouvel habitat.